Philosopher en temps de crise

Le projet : proposer aux élèves et aux personnels du lycée un espace de réflexion participative touchant les multiples questions que la situation inédite, induite par la pandémie en cours, soulève.

Partons d’un premier  constat. La crise sanitaire que nous vivons, qui bouscule nos habitudes, nous met en demeure de rompre avec notre pratique de l’espace : elle en opère la clôture en nous plaçant dans la situation de la claustration. Mais elle bouleverse aussi notre rapport au temps vécu. Car en fermant l’espace, elle libère du temps, ce que nombre d’entre pouvons vivre à travers l’expérience de l’ennui.

Cette crise nous met en demeure, pour reprendre la formule de Pascal, « de demeurer seul au repos dans une chambre ». On ne doit donc pas s’étonner d’y être assailli par les pensées qui, dans cette période d’incertitude   ébranlant un monde aliéné à la sécurité et qui, par-là, vit dans l’oubli de ce qu’est vivre, nous menacent. Crainte d’être touché par la maladie, de voir nos proches tomber malades. Inquiétude touchant l’incapacité de se projeter dans un futur dont on ne sait de quoi il sera fait à court terme.

Il peut probablement être utile aux jeunes gens que sont nos élèves, non de travailler à donner du sens à ce qui n’en a pas (une pandémie n’a pas de sens), mais d’être guidés dans l’effort que chacun peut produire, d’une part à dessein de rationaliser, en commençant par les nommer, ses craintes, d’autre part pour tâcher de donner du sens à la façon dont nous pouvons vivre cette crise.

Le temps libéré par le « repos » et la solitude induite pas toutes les techniques de distanciation sociale, s’il est d’abord absorbé par les ruminations, ne peut-il pas opportunément être tourné vers la réflexion ?

À l’heure où d’aucuns rêvent d’un « homme augmenté » et d’une science, comme dit Descartes,  à même « de nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », que peut bien nous dire ce virus de l’homme, de sa fragilité et de ce qu’il est raisonnable d’attendre des progrès   de la science et de la technique ?

À l’heure où la logique du marché et  celle de la consommation nous persuadent que nous ne sommes rien si nous n’achetons rien, que nous dit, aujourd’hui, cette crise dans laquelle nous devons  vivre en transformant nos pratiques consuméristes et parfois, tout simplement vivre sans consommer ?

À l’heure où nombre de jeunes gens ne rêvent que de mobilité et d’échanges sociaux, que nous dit du mouvement la station à laquelle nous sommes contraints et du rapport à l’autre la virtualité des échanges numériques ?

Que nous dit encore du rapport à nos proches, nos enfants, nos parents, cette situation singulière qui voit notre société réduite à la famille ?

Autant de questions qui en appellent d’autres, que le temps du confinement et de l’isolement peut opportunément nous permettre d’étudier, les élèves pouvant sans doute tirer profit d’une réflexion qui, partagée, pourrait les amener à comprendre que s’il est impossible de « vaincre la fortune », il ne l’est peut-être   pas de savoir quoi penser.

Claude Obadia

 

 

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